Shaving

Réalisé en collaboration avec le Parisien Magazine / Aujourd’hui-en-France Magazine

Cela fait déjà trois mois que je suis arrivé à la Station spatiale internationale. J’ai effectué la moitié de ma mission. C’est incroyable à quel point ça passe vite ! Il faut dire que je me sens bien dans ma nouvelle maison. Ce n’est pas aussi confortable que chez moi, sur Terre, mais, bizarrement, on s’habitue vite. Je dis bizarrement parce que certaines des installations peuvent paraître sommaires. Pour se faire une idée de ma chambre, par exemple, il faut imaginer une sorte de cabine téléphonique encastrée dans le sol. Cela peut sembler tout petit, mais je ne suis pas du genre claustrophobe. Et je suis attaché à cette pièce car c’est le seul endroit de la Station où je peux avoir une vie privée. Je peux y appeler mes proches, lire un bouquin, écouter de la musique… Forcément, rentrer dedans est synonyme de bonheur. C’est aussi là que je dors. Mon sac de couchage est fixé au mur par des cordelettes. Tous les soirs, vers 23h30 – minuit, je me glisse dedans et c’est parti pour sept heures de sommeil… en impesanteur !

Dans l’ISS, oubliez cette magnifique sensation de pouvoir s’écraser dans son lit après une journée de boulot. Ici, on flotte pour le meilleur et pour le pire. Plus sérieusement, dormir en flottant n’est pas désagréable du tout. C’est même plutôt apaisant à partir du moment où l’on ne se pose pas certaines questions: « Je suis à l’envers ou à l’endroit ? », « Je dors en position verticale ou horizontale ? » La seule chose qui me manque, c’est de pouvoir caler ma tête sur un oreiller. Du coup, je rentre quasiment entièrement dans le duvet pour avoir l’impression de « reposer » sur quelque chose. Cela ne me concerne pas, mais je sais que certains sont gênés par le bruit que fait la Station. Avec ses ventilateurs et ses pompes à contrôle thermique, l’ISS est comme une usine, il y a des bruits mécaniques partout. Les cabines ont beau être en partie insonorisées, impossible de dormir dans le silence total. C’est drôle parce qu’on me demande souvent si l’on fait des rêves cosmiques quand on dort dans l’espace. Désolé de vous décevoir, mais non, mon sommeil n’est pas plus agité là-haut. Je ne sais pas si c’est parce que je manque d’imagination ou tout simplement parce que je suis quelqu’un de très serein dans la vie, mais moi, quand je dors, je ne bouge pas d’un poil, c’est on/off, je suis plongé dans le noir et rien d’autre. Loin de moi l’envie de me plaindre. C’est comme ça que j’arrive à gérer, en toute détente, des journées de travail aussi éprouvantes.

Autre chose importante pour se sentir à son aise dans l’ISS, l’hygiène. Contrairement à certaines idées reçues, nous ne nous laissons pas aller. Tous les samedis matin, les six astronautes sont réquisitionnés durant six heures pour laver tous les recoins de la Station. Et l’impesanteur change tout. La poussière se met non pas sur le sol, mais dans les filtres de ventilations. Et il y en a des dizaines. Alors on se déplace en flottant avec nos aspirateurs. Les fils d’alimentation sont extensibles sur plusieurs mètres. Quand ils sont étendus, on dirait de grands serpents flottants. Notre maison est propre. Nous aussi évidemment. Sur Terre, on se salit plus facilement. Monter des escaliers, marcher vite, cela nous fait transpirer. Ici, tous ces efforts n’existent pas puisque l’on flotte. La sueur, on ne la ressent que quand on fait du sport. Alors, forcément, nous n’avons pas besoin de beaucoup de vêtements. Tout cela est calculé. Parce que chaque kilo envoyé en orbite coûte très cher. Du coup, on est rationné. On change de caleçon tous les deux jours, de chaussettes et de tee-shirt toutes les semaines, et de pantalon tous les mois! Nous avons une tenue spéciale pour faire du sport.

Rassurez-vous, on se lave tous les jours. Mais attention, l’eau est à manipuler avec précaution là-haut. Dispersez-la et c’est la panique: avec l’impesanteur, le liquide va flotter, s’échapper et risquer d’endommager les multiples composants électroniques. Alors pour me laver, j’utilise une technique propre aux astronautes. Je me sers de serviettes sèches légèrement imprégnées de savon, stockées dans des douilles en aluminium. On en branche une au robinet d’eau pour humidifier la serviette qui est alors prête à l’usage. Quelques allers/ retours sur la peau et on est propre. Pour les cheveux, nous utilisons un shampoing spécial ne nécessitant aucun rinçage. On applique, on frotte avec une serviette, et c’est propre. Enfin, pour se brosser les dents, l’idée est d’ouvrir le moins possible la bouche pour éviter que le dentifrice ne s’échappe. Interdit de se rincer le gosier. Aucune importance, le dentifrice est comestible.

At Shane's hair salon