Réalisé en collaboration avec le Parisien Magazine / Aujourd’hui-en-France Magazine

Croyez le ou non, quand j’ai vu il y a quelques semaines qu’une sortie extravéhiculaire était prévue à mon agenda ce jour-là, je n’ai pas sauté de joie. Je suis rationnel et je sais que nos emplois du temps peuvent changer. Pour preuve, mon décollage pour la Station spatiale internationale a été décalé au moins cinq fois ! Mais les jours sont passés et la date n’a pas bougé. Petit à petit, j’ai réalisé que j’allais vraiment sortir en scaphandre dans l’espace. Le rêve de tout astronaute. Un rêve, parce qu’il n’est pas accessible à tout le monde. Outre la formation à suivre sur Terre, il faut avoir quelques prédispositions physiques. Se déplacer en scaphandre dans l’espace, c’est comme faire de l’escalade en armure. Cette combinaison pèse près de 200 kilos. Serrer son poing, c’est comme essayer d’écraser une balle de tennis. Si l’on n’est pas musclé, surtout dans le haut du corps, c’est compliqué.

In the airlock

Il ne faut pas être claustrophobe non plus. Je me souviens lorsque j’ai enfilé pour la première fois ce harnachement, j’avais l’impression d’être enfermé dans une mini-boîte avec juste une toute petite fenêtre pour voir à l’extérieur. Et puis, les sorties sont très rares. Il est arrivé que des astronautes qui avaient pourtant les capacités de le faire n’aient jamais l’occasion d’enfiler un scaphandre ! Ce type d’opération prend du temps et reste difficile à organiser. Quand on sort, c’est pour une bonne raison. Et même si j’ai eu cette chance, je ne perds pas de vue que je ne suis pas là pour réaliser mes fantasmes, je suis sorti pour réaliser le boulot qu’il y a à faire.

Ce matin-là, je me suis réveillé en forme. J’avais hâte de franchir le sas d’entrée de l’ISS malgré quelques craintes. Le scaphandre est une machine très sophistiquée qui nous protège, mais des bugs peuvent arriver. En 2013, lors d’une sortie, de l’eau a commencé à s’infiltrer dans le casque de mon collègue et ami italien Luca Parmitano. Il a dû rentrer d’urgence dans l’ISS pour éviter la noyade.

Il y a une autre chose à laquelle il faut faire très attention. Une sortie extravéhiculaire, c’est souvent pour des opérations de maintenance ou pour installer des machines autour de la Station. On se balade donc avec un tas d’outils qu’il faut utiliser avec délicatesse. Car si on en lâche un dans l’espace, cela peut devenir très problématique. Selon sa trajectoire et sa vitesse, l’objet peut entrer en orbite et en collision avec l’ISS. C’était ma plus grande préoccupation. Mais je n’y ai pas pensé longtemps. Je me suis entraîné pour ça et je savais que j’étais prêt. Et que je serais avec mon collègue américain Shane Kimbrough, qui, lui, n’en est pas à sa première sortie.

Shane during our spacewalk

Nous nous sommes levés à six heures du matin pour nous préparer. Il a fallu près de cinq heures pour enfiler notre combinaison, vérifier les derniers réglages. Puis, vers 13 heures, nous avons franchi la porte du fameux sas ! Mes premières sensations étaient exceptionnelles. Curieusement, je n’ai ressenti aucun stress. Au contraire, j’étais très serein. Être à l’intérieur de cette combinaison m’a rappelé les entraînements sur Terre, quelque chose de très familier. Je me sens bien dans ce cocon que je connais par cœur. Et puis, d’un coup, j’ai eu très chaud. On ne s’en rend pas compte grâce à l’air conditionné de l’ISS, mais le soleil tape très fort dans l’espace. Ce n’est pas étouffant, mais ça surprend quand même.

Pendant quelques minutes, en attendant Shane, j’ai eu l’occasion de regarder autour de moi, de prendre quelques photos. Quelle extraordinaire sensation de se sentir si petit face à l’immensité de l’espace ! Sous mes pieds, la Terre, les continents, les mers, les nuages… Tout a l’air minuscule. Au bout de dix minutes, il a fallu se mettre au travail. Le temps est passé tellement vite ! J’ai eu l’impression de sortir pendant trente minutes alors que nous sommes restés six heures à l’extérieur de la Station. Comme dans toutes les expériences exceptionnelles, les sens sont tellement en ébullition que la mémoire a du mal à tout imprimer. Mais très vite, après du repos, tout revient.

Hi Oleg!