Le jour du décollage, notre groupe de français prend la pose au même endroit que Peggy, Oleg et Thomas en juin dernier.

Le jour du décollage, notre groupe de français prend la pose au même endroit que Peggy, Oleg et Thomas en juin dernier.

On launch day our group take a similar picture to Thomas, Oleg and Peggy in June.

On launch day our group take a similar picture to Thomas, Oleg and Peggy in June.

Brigitte Bailleul, rédactrice pour ESA France et passionnée de spatial, s’est rendue à Baïkonour pour assister au lancement de Thomas Pesquet le 18 novembre. Voici son récit de la soirée de lancement.

Ce 17 novembre 2016, quelques dizaines de touristes, dont je faisais partie, se trouvaient au Cosmodrome de Baïkonour pour voir décoller le Soyouz qui emportait l’astronaute français de l’ESA Thomas Pesquet et ses coéquipiers Peggy Whitson de la NASA et Oleg Novitsky de Roscosmos vers la Station spatiale internationale.

Trois rendez-vous m’attendaient ce soir-là : la sortie de l’équipage de l’Hôtel des cosmonautes, où ils étaient en quarantaine depuis une quinzaine de jours, le moment où ils prendraient la direction du pas de tir après avoir revêtu leur combinaison Sokol, et le décollage.

Credits: NASA–B. Ingalls

Credits: NASA–B. Ingalls

La sortie de l’hôtel s’est effectuée très (trop) rapidement. L’équipage a marché d’un bon pas jusqu’au bus qui les attendaient sans jamais prendre la pose comme les super stars auxquelles ils sont parfois à tort comparés. A peine le temps de quelques gestes de la main, de chercher du regard ceux qui les interpellent, et les voilà dans le bus. Ils sont tous souriants, Thomas semble détendu, heureux, et en même temps très ému face à son amie et sa famille. J’ai le cœur serré moi aussi en assistant  à ces instants intimes ; l’image de Thomas assis à l’intérieur du bus, sa compagne de l’autre côté de la vitre, et leurs mains paume contre paume restera longtemps gravée en moi. Tout s’est passé si vite que j’en ai oublié de prendre des photos !

Credits: NASA–B. Ingalls

Credits: NASA–B. Ingalls

Sitôt les bus des astronautes partis, notre groupe profite des quelques minutes qui nous sont allouées pour aller visiter l’Allée des Héros, où chaque passager d’un Soyouz plante un arbre quelques temps avant son décollage, dans la continuité d’une tradition commencée avec le premier vol spatial de Youri Gagarine. Située dans les jardins de l’Hôtel des cosmonautes, cette allée est strictement interdite au public pendant la période de quarantaine. Plantés respectivement à deux extrémités de l’allée, l’arbre de Youri et celui de Thomas sont faciles à trouver, même si les panneaux au pied de chaque arbre sont écrits en cyrillique !

Le compte à rebours avant le tir impose un timing très serré, et notre minibus nous emmène vers le Musée du cosmodrome, où nous resterons au chaud – il fait -15°C dehors – un peu plus d’une heure. Le prochain rendez-vous est à l’extérieur du bâtiment 254, où l’équipage a revêtu la combinaison de vol Sokol blanche et bleue. La salle dans laquelle se trouvent actuellement Peggy, Thomas et Oleg donne sur l’extérieur, et j’en profite pour les observer quelques minutes à travers la fenêtre. Seule l’expression du visage de Thomas me renseigne sur la teneur des propos échangés. J’y lis tour à tour une émotion très vive, un sourire, un éclat de rire, beaucoup de sérieux, une concentration intense.

Credits: NASA–B. Ingalls

Credits: NASA–B. Ingalls

L’équipage sort enfin du bâtiment, et marque un arrêt au niveau des drapeaux. Les « Allez Thomas ! » fusent. Thomas est à moins de cinq mètres de moi, et se tourne brièvement dans notre direction ; je suis aux côtés de Sébastien, qui était présent lors du premier vol de Thomas à bord de l’avion ZéroG de Novespace, entourée de représentants de l’ESA, du CNES, de la NASA et de Roscosmos, et je n’arrive pas à en croire mes yeux.

L’équipage fait une seconde pause le temps d’un salut aux autorités du cosmodrome et de Roscosmos, avant de monter à nouveau dans leur bus. J’ai tout juste le temps de me faire la réflexion qu’ils ressemblent un peu à un Bibendum avec la surcombinaison qui les protège du froid. Je regarde la famille et les amis de Thomas lui dire une nouvelle fois au-revoir, et j’imagine à quel point ce doit être éprouvant. D’une certaine manière, les adieux durent depuis le début de la quarantaine. L’équipage de doublure embarque également dans son bus, et cette fois-ci j’aperçois l’astronaute italien de l’ESA Paolo Nespoli, la doublure de Thomas pour ce vol. Les bus se dirigent maintenant vers le pas de tir, ils feront en chemin un arrêt pour respecter une autre tradition liée au vol de Youri Gagarine, celle d’uriner sur une roue du bus (ou de mimer le geste). Après des années d’entrainement, de travail acharné et de sacrifices, Thomas va monter à bord de son lanceur Soyouz à destination de la Station spatiale, où il vivra et travaillera pendant les six prochains mois.

De notre côté, nous suivons nos guides à l’intérieur du bâtiment, jusqu’au bout d’un très long couloir décoré de photographies de la conquête spatiale, avant de pénétrer dans la salle dans laquelle Thomas se trouvait il y a seulement quelques minutes ! Le temps de quelques photos, et nous reprenons la direction du Musée du cosmodrome, où nous attendrons à nouveau un peu plus d’une heure. Notre groupe de six Français n’est pas le seul à avoir fait le déplacement, et nous retrouvons un groupe de pilotes d’Air France, déjà croisés plusieurs fois dans la semaine et venus eux aussi soutenir Thomas. Nous prenons tous ensemble la pose avec l’astronaute italien de l’ESA Luca Parmitano, qui se prête avec le sourire au jeu des photos et des autographes.

Credits: NASA–B. Ingalls

Credits: NASA–B. Ingalls

Je commence enfin à réaliser qu’il reste moins de deux heures avant le décollage. Je suis Thomas depuis plusieurs années, notamment via les réseaux sociaux : sa préparation à la mission Proxima, son parcours, ses entrainements aux quatre coins de la planète, en Europe, en Russie, aux Etats-Unis, au Canada, au Japon. Au fil du temps et de quelques rencontres, j’ai l’impression que Thomas fait partie de notre famille, et je suis sur le point de le voir s’envoler vers l’espace. Je réalise que je suis très proche de le voir de mes propres yeux accomplir son rêve et devenir le dixième astronaute français !

Il est 1h30 du matin, c’est enfin le moment de se diriger vers notre site d’observation, situé à moins de 1300 mètres du pas de tir. Je reste sans voix quand j’aperçois le lanceur illuminé par les projecteurs ; pour moi qui ai eu la chance d’assister à des décollages depuis le Kennedy Space Center de la NASA, mais jamais à moins de 5 km, c’est complètement surréaliste d’être aussi près.

Credits: NASA–B. Ingalls

Credits: NASA–B. Ingalls

Posé sur la steppe, un écran géant diffuse des images de l’intérieur de la capsule où sont installés Thomas et ses coéquipiers. Les minutes passent et tout le monde autour de moi s’affaire sur ses réglages d’appareil photo. « Les bras s’ouvrent ! » s’exclame soudain mon voisin. Les conversations s’arrêtent et le silence se fait soudain sur la steppe Kazakhe, à part pour un commentateur russe qui commence un direct à côté de nous.

https://soundcloud.com/brigitte-bailleul/decollage-soyouz-ms-03-thomas-pesquet

Le décollage, c’est d’abord une explosion de lumière au moment de l’allumage des moteurs du Soyouz, alors que les flammes s’échappent par le carneau de 45 m de hauteur situé sous le pas de tir. Dix secondes plus tard (qui paraissent une éternité !), les quatre contrepoids qui maintiennent le lanceur en place s’écartent sous la poussée des moteurs, et le Soyouz s’élance vers le ciel. Nous sommes si près que le crépitement des moteurs nous parvient presque immédiatement, et nous ressentons en même temps les vibrations au plus profond de nous. Je retiens ma respiration pendant de longues secondes, mais tout est « nominal », comme le centre de contrôle de Moscou le répète certainement en boucle.

Credits: NASA–B. Ingalls

Credits: NASA–B. Ingalls

Je ne quitte pas le lanceur des yeux jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une étoile parmi les autres dans le ciel kazakhe. Et je réalise que ça y est, Thomas a quitté la Terre et accompli un rêve d’enfance qui a longtemps du lui sembler un peu naïf, mais pour lequel il a tant travaillé.

Je ressens à la fois une immense fierté, beaucoup de soulagement que tout se soit bien passé, et une très grande gratitude à l’égard de toutes les équipes qui ont permis ce décollage et cette mission. Quelques jours après avoir vécu ce moment magique, j’ai encore les yeux qui brillent, le sourire aux lèvres et la sensation d’avoir vécu un instant très privilégié, que je n’oublierai jamais.