Comment et que mange-t-on dans l’espace ? À quoi ressemble la fameuse « space food » que consomment les astronautes pendant les six mois de leur séjour dans la Station spatiale internationale ? L’astronaute de l’ESA Thomas Pesquet a en partie répondu à ces questions dans sa dernière vidéo filmée depuis l’ISS, à retrouver ci-dessous. Voici quelques explications complémentaires.

Les conditions et contraintes de l’impesanteur

paolo_nespoli_shows_a_food_warmer_on_iss_node_full_image_2

L’astronaute de l’ESA Paolo Nespoli réchauffe une pochette de nourriture avec les plaques du segment américain en 2011. Photo : ESA/NASA

Sans surprise, la nourriture spatiale doit répondre aux nombreuses contraintes intrinsèques à la vie en impesanteur. Les cuisiniers et fournisseurs se plient donc à des mesures drastiques en terme d’hygiène et sélectionnent soigneusement les produits qui ne risquent pas de causer de problème dans l’environnement confiné de la Station. Un pain qui s’émiette est ainsi à proscrire : les particules pourraient se mettre à flotter et obstruer des équipements, par exemple. Le sandwich au bacon de l’astronaute de l’ESA Tim Peake, préparé par le chef étoilé Heston Blumenthal, est parvenu à passer le test après de multiples essais, mais à quelques exceptions près, le pain et ses miettes potentiellement dangereuses se font rares sur la Station. On leur préfère les tortillas, beaucoup plus pratiques dans l’espace. Il faut également que la nourriture puisse être conservée à température ambiante de 18 à 24 mois, délai qui prend en compte la longue période de temps qui peut s’écouler entre la production sur Terre et la consommation en fin de mission spatiale. La taille constitue une autre contrainte : les boîtes de conserve et sachets doivent pouvoir rentrer dans le système de réchauffe de l’ISS. Le poids est également à prendre en compte, afin de rentabiliser au maximum l’envoi coûteux de véhicules ravitailleurs dans l’espace. Enfin, les plats doivent évidemment être équilibrés et adapter au poids et aux besoins particuliers de chaque astronaute.

Il existe trois grandes méthodes pour conserver la nourriture envoyée en orbite. La thermo-stabilisation détruit les microorganismes indésirables par chaleur et pression et présente les plats sous forme de conserves, de tubes (côté russe) ou de sachets, ces derniers étant particulièrement prisés de la NASA. Avant consommation, les astronautes placent les boîtes dans le système de réchauffe situé dans le segment russe ou les petits sacs entre les plaques chauffantes de la partie américaine de la Station. Avec le procédé de lyophilisation, qui consiste à assécher la nourriture, il suffit de réhydrater avec de l’eau chaude le contenu des poches de nourriture. Certains aliments, comme les noix, sont quant à eux irradiés au moyen de rayons ionisants avant d’être envoyés dans l’espace. Au regard des conditions de conservation très contraignantes, il n’y a pas de produits frais à bord de l’ISS, sauf lorsqu’un véhicule ravitailleur apporte des fruits parmi sa cargaison, par exemple.

Une dernière condition avant d’emballer la nourriture et de l’envoyer par cargo ravitailleur dans l’espace : il faut que celle-ci soit relativement… goûteuse ! Il s’agit effectivement non seulement d’une source d’énergie pour les astronautes, mais également d’un véritable support psychologique. Les missions spatiales s’allongeant de plus en plus, la qualité gustative des plats ne constitue plus un détail.

La nourriture bonus et l’aspect psychologique

ducasse-cnes-cadmos-food

Les conserves issues de la collaboration entre Alain Ducasse et le CADMOS (laboratoire du CNES) Photo : Thomas Pesquet

À chaque nouveau vol habité, les astronautes profitent des leçons tirées des missions précédentes. Celles-ci ont permis de mettre en évidence l’importance de l’alimentation en tant que support psychologique. Depuis une dizaine d’années, les agences spatiales s’intéressent donc de plus en plus à la question. En plus de la nourriture quotidienne habituelle fournit par la NASA et Roscosmos, l’Agence spatiale russe, les astronautes disposent chacun d’une réserve de nourriture « bonus » qu’ils ont pu choisir eux-mêmes. Celle-ci représente environ 10% du total des provisions, soit l’équivalent de neuf conteneurs alimentaires. Il peut s’agir de snacks ou encore de plats élaborés en collaboration avec le chef Alain Ducasse par le CNES, qui délivre de manière régulière de la nourriture aux astronautes de l’ISS, en proposant des recettes aussi bien françaises qu’internationales. Ce programme est également l’occasion pour l’agence spatiale française de proposer des expériences de nutrition.

Toujours dans cette perspective, l’ESA (Agence spatiale européenne) a mis en place une collaboration avec des chefs étoilés afin de proposer ponctuellement de la nourriture spécialement produite à l’occasion des missions spatiales de ses astronautes européens. Depuis 2013 et le vol de Luca Parmitano, chacun d’entre eux a pu travailler avec un grand cuisinier de leur propre pays pour mettre au point des repas qui, souvent, leur rappellent leur enfance ou leur plat préféré sur Terre. Après plusieurs rencontres et échanges avec Thomas, le chef étoilé Thierry Marx a ainsi élaboré le dîner du nouvel an en fonction des goûts du Normand. Il a eu droit à une dégustation en France avant son départ ; la nourriture produite pour l’espace n’a cependant pas le même goût sur Terre que dans l’espace. L’impesanteur a pour effet de rediriger le sang et les autres fluides vers le haut du corps, au point d’encombrer les sinus des astronautes. Les capacités olfactives, notamment, et avec elles la perception des saveurs s’en retrouvent altérées. La nourriture spatiale comporte donc souvent plus de sel que la moyenne pour rehausser les plats. On peut également ajouter du liquide salé ou de l’huile poivrée, disponibles dans la cuisine de la Station. La quantité de ces assaisonnements est bien entendu surveillée afin de respecter l’équilibre des apports nutritionnels des astronautes.

Les repas de fêtes et le réveillon du nouvel an

134d1288

Thanksgiving 2016 avec l’équipage au complet. Photo : ESA/NASA

Quoi de plus propice qu’un bon dîner pour réunir tout l’équipage et célébrer des événements du calendrier dans la bonne humeur, malgré l’éloignement des proches ? Thomas Pesquet, en charge du repas du nouvel an, s’apprête à consacrer à cette occasion toute sa nourriture élaborée avec le chef Thierry Marx, dans le cadre de la collaboration de l’ESA évoquée plus haut.

thierry-marx-cans

Le menu du nouvel an élaboré par Thierry Marx. photo : ESA

Les astronautes partagent de temps en temps entre eux une partie de leur nourriture bonus, surtout lors des repas dits « événementiels » (anniversaires, départ ou arrivée d’un équipage, fêtes de fin d’année, etc). C’est le cas de Peggy Whitson et de Thomas pour ces fêtes de fin d’année : ils ont tous les deux choisi de prendre sur leur réserve personnelle de quoi organiser un repas pour les six astronautes de la Station, à l’occasion respectivement de Noël et du nouvel an. Au menu ? Langue Lucullus en entrée, suprêmes de volaille aux morilles et sauce au vin jaune en plat de résistance et pressé de pain d’épices en dessert ! Après les cuisines italienne, allemande, danoise et britannique dégustées par ses collègues de promotion ces dernières années, la gastronomie française sera donc à l’honneur le 31 décembre prochain.