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Certains clichés m’énervent. Comme celui qui voudrait qu’un scientifique, un ingénieur ou un mathématicien ne s’intéresse qu’aux chiffres et aux expériences. C’est totalement faux. Je ne suis pas expert en musique, en cinéma et en littérature mais je me cultive, comme tout le monde. Heureusement d’ailleurs. Sans ces divertissements, ce serait compliqué de tenir six mois dans la Station spatiale internationale. Dans cet espace confiné, où l’on croise tous les jours les mêmes personnes, notre besoin de nous évader est perpétuel. La culture sert à cela.

Evidemment, on ne peut pas emmener de gros pavés à bord. Nos rangements sont limités. Et même si j’ai apporté cinq ou six ouvrages comme Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, presque tous mes livres sont en version numérique sur mon iPad. Même chose pour les centaines de musiques et les films que j’ai stockés sur un disque dur externe.

N’allez cependant pas croire que l’on passe notre vie à ça. Les expériences scientifiques, qui occupent la moitié de notre temps, nécessitent une grande concentration. La musique, les films, les séries, c’est seulement quand je fais du sport. Je cale l’iPad devant le tapis de course ou le vélo d’appartement et hop, c’est parti pour des dizaines de minutes d’apaisement et d’évasion. Cela m’est arrivé aussi de mettre mes écouteurs pendant une tâche répétitive. Quand je déplace des équipements d’un module à un autre, je me mets un petit son électro – mon style musical préféré – dans les oreilles. Cela rend le boulot plus fun. Après, il faut que je me retienne de danser pour éviter les moqueries de mes collègues.

Pour moi la culture, ça se partage. Et comme on a la chance d’avoir un rétroprojecteur à bord, on n’hésite pas à se faire des soirées cinéma tous les six. Ce n’est arrivé que quatre ou cinq fois, mais c’était magique. Notamment parce que les longs-métrages qu’on visionnait n’étaient pas encore sortis sur Terre ! Peu de gens le savent mais les astronautes de la Station spatiale ont accès à des films en avant-première. Pas n’importe lesquels, évidemment. On reçoit surtout ceux sur le thème de l’espace. La Nasa est souvent consultée par les réalisateurs et les producteurs pour répondre à des questions techniques sur leurs longs-métrages. En contrepartie, nous pouvons les visionner avant tout le monde.

Récemment, on a eu accès aux films Les Figures de l’ombre – l’histoire de ces femmes scientifiques afroaméricaines qui ont permis aux Etats-Unis d’être leader de la conquête spatiale dans les années 1960 – et Life – qui raconte comment une forme de vie mystérieuse va faire vivre un calvaire aux membres de la Station spatiale internationale. Quelle angoisse ! J’ai une tendresse particulière pour les films de science-fiction. Je suis astronaute. Je sais distinguer le vrai du faux. Mais j’adore me poser devant un bon blockbuster sur l’espace. Après, déformation professionnelle oblige, je ne peux pas m’empêcher de relever quelques incohérences. Je me rappelle que dans Interstellar (2014), de Christopher Nolan, l’astronaute joué par Matthew McConaughey met six mois à se préparer avant d’aller dans l’espace. Là, croyez-moi, je sais de quoi je parle, ça ne se passe pas comme ça. Il faut plusieurs années pour apprendre les fondamentaux. Et puis, qu’est-ce que c’est que cette base spatiale secrète située au milieu des champs ? ! Pareil pour Gravity (2013), d’Alfonso Cuaron. Dans le film, la Station spatiale et ses occupants sont percutés par les débris d’un satellite russe. C’est tout bonnement impossible. Tous les « objets » (Station spatiale, les satellites…, NDLR) qui tournent autour de la Terre empruntent une orbite et une trajectoire différentes. Il est donc quasiment impossible qu’ils se rencontrent. Star Wars ? Je ne l’attaquerai pas. L’histoire, les scènes d’action, les effets spéciaux… Devant cette saga, je ne suis plus astronaute. Je suis un gamin qui prend son pied, c’est tout.

Allez les bleus!