Réalisé en collaboration avec le Parisien Magazine / Aujourd’hui-en-France Magazine

Columbus at night
Le labo Colombus la nuit: non, on n’a pas (encore) de soirées disco sur l’ISS, on cultive juste des légumes dans le cadre d’une expérience

Voilà deux mois et demi que j’ai débarqué dans l’ISS, la Station spatiale internationale, et je n’ai toujours pas parlé de l’une de nos principales activités à bord : les expériences scientifiques. Je vous vois grimacer d’ici. C’est vrai que, sur le papier, les microscopes sont moins sexy que nos combinaisons spatiales. Mais, contrairement aux sorties extra-véhiculaires, qui n’ont lieu qu’une à deux fois tous les six mois, les expériences occupent plus de 50 % de notre temps. C’est notre activité numéro un, devant la maintenance et le nettoyage. Au fil des décennies, les expériences réalisées dans la station se sont révélées très utiles. Dans un premier temps, elles nous permettent de rêver à la conquête de l’espace. Avant d’imaginer aller sur Mars, il faut inventer les techniques et technologies qui nous permettront d’endurer un voyage aussi éprouvant. Comment réagit telle partie du corps privé de gravité pendant une si longue durée ? Tel équipement est-il assez performant ? Avant de partir un jour, il faut tout vérifier. C’est notre mission, et elle va encore durer plusieurs années avant que l’on se lance.

Par ailleurs, nous faisons profiter notre chère planète de nos séjours dans l’espace. Médecine, biologie, physique, science des matériaux, des fluides… De très nombreux domaines sont concernés car, dans l’ISS, l’impesanteur (l’absence de gravité, NDLR) permet de réaliser des expériences impossibles à mettre en place au sol. Dans l’espace par exemple, les bactéries sont en principe beaucoup plus virulentes. On prend donc avec nous plusieurs souches pour les soumettre à l’environnement spatial, et on les observe. Il y a celles qui vont logiquement grandir et se multiplier et il y a les autres, qui, étrangement, vont rester molles. On en tire alors une conclusion : si cette bactérie ne « s’agite » pas plus que ça dans l’espace, il n’y a quasiment aucune chance qu’elle soit dangereuse sur Terre. Elle devient automatiquement une candidate très sérieuse à un futur vaccin. Autre exemple, on mène des expériences liées au cerveau des astronautes. Je m’explique : il y a quelques années, les scientifiques se sont rendus compte qu’à partir d’un certain âge, les adultes ne bénéficiaient plus d’apprentissages « indestructibles », comme peut le vivre un enfant quand il apprend le vélo ou la nage. Mais il y a une exception. Et l’exception, c’est nous, les astronautes.

Ce phénomène se produit durant les premières heures où l’on apprend à bouger en impesanteur. Et oui, le choc de flotter est si violent, déstabilisant, qu’une connexion mystérieuse se fait dans notre cerveau et nous permet d’un coup d’être à l’aise. Et cela, jusqu’à la fin de notre vie. Parce que cet événement est rare, les scientifiques, sur Terre, nous demandent de faire toute une batterie de tests sur notre cerveau. Eux récupèrent les données et avancent énormément sur le fonctionnement de cet organe encore méconnu.

A propos de scientifiques, j’ai toujours détesté le cliché du vieux barbu avec ses éprouvettes. Ce sont eux qui nous parlent en direct quand on réalise nos expériences. Ce sont aussi eux qui récoltent les données qu’on leur rapporte, et essaient d’en tirer quelque chose de concret.

D’ailleurs, il y en a que je préfère. L’autre jour, pour récolter des données, on a pris les commandes de bras robotiques pour déployer des micro-satellites de la taille d’un Rubik’s Cube. C’était super drôle. Il y a ce genre de moments fun, et puis il y a d’autres expériences moins sympas. Parfois, c’est même un peu douloureux, surtout quand il nous faut donner un peu de sang, ou s’infliger quelques petits chocs électriques !

Electro-shock
L’experiment MARES avec chocs électriques