Réalisé en collaboration avec le Parisien Magazine / Aujourd’hui-en-France Magazine

Franchement, j’ai beaucoup de chance. Lors d’un séjour de six mois dans la Station spatiale internationale (ISS), certains astronautes n’ont pas la chance d’avoir une sortie extravéhiculaire. Moi, j’ai effectué ma deuxième le 24 mars. Et j’en ai une troisième prévue le 6 avril. Quelle impression incroyable de voir la Terre tourner sous ses pieds ! Et puis, cela permet de sortir, de s’aérer malgré l’inconfort de nos combinaisons. On n’y pense pas trop avant, mais quand on s’engage à partir pour l’ISS, on signe pour un huis clos. Dans cet espace limité, vous n’avez aucune échappatoire. Vous voyez les cinq mêmes visages tous les jours, vous n’avez aucune fenêtre ouverte, aucune aération naturelle. Alors forcément, parfois, on se sent un peu étouffer. C’est à ce moment qu’on est le plus heureux d’établir le contact avec la Terre. J’ai entendu dire que dans la station Mir, les astronautes ne pouvaient appeler leur famille qu’une fois par mois, durant cinq minutes.

Je ne sais pas comment ils faisaient. Moi, j’ai mes proches presque tous les jours au téléphone. Ça me rebooste automatiquement. Cela peut paraître bébête, mais je suis heureux quand je parle de frigo cassé et de nouvelle peinture avec ma compagne, ou bien sûr de choses plus poétiques. Et puis ça me rassure. Ici, on pense tellement au travail que la moindre chose qui peut nous changer les idées est la bienvenue. Je n’ai jamais autant demandé à ma famille si tout allait bien, si elle n’avait aucun problème en bas. Je crois que ces questions m’obsèdent parce que je suis loin. S’il y avait un problème, je ne pourrais pas prendre le premier avion pour les rejoindre.

Training for Space X Dragon capture

En vérité, c’est surtout avec des collègues restés sur Terre que je communique le plus. Astronaute, c’est un travail d’équipe. Certes, je me suis entraîné à faire beaucoup d’expériences, mais je ne les connais pas toutes par cœur. Pour les mener à bien, l’équipage est en contact permanent avec des scientifiques au sol. A chaque fois, cela commence à peu près comme ça : « Allô, ici Thomas dans la Station spatiale, je suis sur la procédure 1.5.230/Step 4.5, je ne comprends pas ce qu’il y a écrit là. » Puis, ils me donnent les instructions depuis les centres de contrôle situés à Houston, à Munich ou à Moscou.

Je parle plusieurs heures par jour à ces personnes, je connais plein d’anecdotes sur elles, mais je ne connais pas leur visage. C’est drôle quand on y pense : créer des liens avec… des voix. Parmi elles, il y a les scientifiques, mais il y a aussi des gens qui m’informent de ce qu’il se passe sur Terre. Bon, je vous avoue que l’actualité est déprimante, mais je me force un peu à lire les articles et les vidéos que l’on m’envoie. Je ne dois pas être décalé. Je ne supporterais pas de revenir dans un monde que je ne comprends pas. Et les sociétés évoluent vite. Lorsque j’ai décollé, Obama était président des Etats-Unis. Quand je reviendrai, ce sera Trump !

Les scientifiques, les proches… C’est mon quotidien. Mais il y a des échanges particuliers. Des appels que je n’oublierai jamais. L’autre jour, une classe d’enfants d’un village reculé de Guyane m’a appelé par radio. C’était émouvant. Parce qu’ils ont eu toutes les galères du monde pour m’avoir, mais ils ne se sont pas démontés. Les gamins, c’est à eux que j’ai envie de transmettre le plus. Grâce à une initiative de l’Unicef, j’ai pu parler à des milliers d’écoliers en France. C’était magique de faire naître des vocations.

Unicef

C’est pour ça que je suis très actif sur les réseaux sociaux, que je poste autant de photos sur mon compte Twitter (@ Thom_astro). Pour ça et aussi parce que je pense que le public mérite de savoir ce que l’on fait là-haut. Moi, ça me fait très plaisir d’aller dans l’espace. C’était mon rêve évidemment, mais cela n’est pas ma petite aventure égoïste. On le fait avec de l’argent public. On le fait pour les gens, pour la recherche, pour faire avancer un monde que l’on partage.