Réalisé en collaboration avec le Parisien Magazine / Aujourd’hui-en-France Magazine

Déjà près d’un mois que j’habite la Station spatiale internationale (ISS) et mon corps s’est complètement habitué aux conditions de vie dans l’espace, pourtant un peu spéciales. 30 % à 40 % des astronautes sont désorientés, barbouillés quand ils débarquent dans l’ISS. Pour ma part, même si j’ai senti mes organes se bousculer, j’ai très bien vécu cette sensation. Tout de suite, l’impesanteur m’a donné un sentiment de liberté. Je mets un petit coup de talon au sol et, hop, je me retrouve au plafond, la tête à l’envers ! Quand j’appelle mes proches au téléphone, je me mets la tête en bas et je me balance, comme une chauve-souris.

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Flotter, c’est hyper cool, ça ne demande aucun effort, ça me relaxe. C’est comme se poser dans une chaise longue au bord d’une piscine. Pour tout vous dire, j’aime tellement ça que le soir, une fois que tout le monde est couché et que les lumières sont éteintes dans la Station, je prends quelques dizaines de minutes pour me laisser flotter doucement.

Je crois que pour apprécier l’impesanteur, il faut tout simplement accepter de perdre le contrôle. Il ne faut pas s’accrocher à tout ce qu’on trouve pour se rassurer. L’idée est de se lancer, sans trop réfléchir, pour apprendre. Cela a été mon cas. Mais je ne vais pas vous mentir, il y a quand même quelques contraintes. Notamment pour se déplacer. Comme on ne contrôle pas tout, il faut faire attention à ne pas aller trop vite. Sinon, on se cogne à tous les murs. Cela m’est arrivé plusieurs fois !

Il y a aussi l’exercice du clavier d’ordinateur… Vous n’imaginez pas à quel point c’est une galère de taper un texte dans l’ISS. Il faut bien s’imaginer que vos mains et vos doigts flottent et que donc, pour atteindre les touches, il faut faire un effort considérable. L’impesanteur est parfois désagréable et elle nous prive de certains luxes. Sur Terre, après une rude journée de travail, au moment de se coucher, on s’écrase sur son lit, on enfonce sa tête lourdement sur l’oreiller. Un moment tellement jouissif ! Eh bien, dans l’espace, cela n’existe pas. Pour la simple et bonne raison que nous dormons dans un duvet flottant.

Là-haut, les sens sont affectés. Moi qui ai une excellente vue sur Terre, je sens déjà qu’elle est en train de diminuer dans l’ISS. L’absence de gravité augmente l’afflux sanguin à l’intérieur du crâne. Cela crée une pression qui affecte les yeux. C’est l’un des prix à payer. Et ce n’est pas le seul. Mon goût aussi a fortement régressé. Tous les aliments me paraissent insipides. Je ne devrais pas faire ça, mais j’ai donc tendance à ajouter beaucoup de sel, de poivre, de Tabasco, pour retrouver des sensations gustatives.

Space Food

Enfin, mon odorat s’est considérablement amoindri. Mais là, c’est une bonne chose. Comme il n’y a aucun moyen d’ouvrir les fenêtres pour aérer ici, j’imagine que ça ne sent pas la rose ! Et puis, le véhicule ravitailleur russe qui était censé nous ravitailler, mais aussi repartir avec nos déchets, n’est jamais arrivé. Résultat, nous accumulons des choses pas très propres. Alors, même si nos déchets alimentaires et nos excréments sont confinés dans des sachets hermétiques, on sent parfois de petites odeurs. Je n’ose même pas imaginer ce que cela serait si notre odorat n’avait pas diminué.

C’est amusant parce que, même si je suis dans un espace confiné à 400 kilomètres au-dessus de la Terre, je n’ai pas l’impression d’être si loin, d’être isolé. À chaque fois que je regarde notre planète par la Cupola, j’ai l’impression qu’elle est tout près de nous. Je pense que cette sensation d’isolement est vécue beaucoup plus fortement par les marins qui participent en ce moment à la course du Vendée Globe.

Par rapport à eux, nous avons la chance d’être plusieurs et de disposer d’un espace suffisamment grand pour pouvoir nous déplacer. De toute façon, je crois que l’être humain a la capacité de s’adapter à n’importe quel univers dans lequel il serait plongé. Nous avons cette faculté unique, il faut juste savoir s’en servir pour être à l’aise. C’est ce que j’ai fait. L’ISS est devenue, en quelques semaines, ma maison.

Columbus 1